J'ai testé maintes fois l'apéro chez
Bones. J'aime l'atmosphère qui se dégage de ce lieu, brute, simple et nature, tellement atypique qu'il pourrait se trouver à Berlin, New York ou Montréal tant l'on est loin des clichés parisiens. Mi-industriel mi-nordique, la déco tranche par sa simplicité, mêlant béton et marbre avec élégance, la lumière est tamisée, le ton est donné. Les serveurs sont nombreux, jeunes et souriants, à l'instar du chef australien
James Henry qui a ouvert cette enseigne mi-janvier et œuvre en cuisines, après avoir officié au
Spring puis au
Passage.
La cuisine de James est à l'image du lieu. Le restaurant joue sur la simplicité des ingrédients sublimée, afin de créer des plats aux saveurs subtiles. Le menu est unique, déstructuré, entre amuse-bouches, entrées, plats, dessert, mignardise. Un repas qui s'étale dans le temps, que l'on finit par oublier tant le plaisir prend le dessus. Pas de routine, la cuisine varie au rythme des saisons et de l'humeur du chef, tout en restant originale et décalée. La surprise s'installe à la table, l'on voit défiler des mets inhabituels aux découpes et cuissons parfaites, emplis d'amour et de passion. Nous sommes nombreux, chacun arrive au compte goutte, le diner s'annonce quelque peu décousu, et pourtant, nous nous sentons à l'aise, on est loin des endroits guindés et des serveurs agacés, nous sommes au contraire aux petits soins.
Après un premier verre de
Jura blanc, nous goûtons un vin italien dit "orange",
Dinavolino (Emilie-Romagne), très surprenant, tannique et puissant à la robe légèrement trouble, pour accompagner une assiette de saucisson de porc et de magret de canard séché dans la cave du restaurant et fumé, faits maison tout comme le pain au levain et le beurre de baratte. Un régal. Arrivent ensuite de petites huîtres cuites façon barbecue, légèrement chaudes et fumées. Suivies d'un cœur de canard
alla gremolata (zeste de citrons, ail et persil), incroyablement tendre. Manger ce type d'abats dans un restaurant est pour moi une première. J'aime, que dis-je j'adore, et mes compagnons de table aussi. Une nouvelle bouchée apparait : foie gras et oursin en bouillon de cochon de lait, c'est moelleux et détonnant en bouche. On se délecte d'un rouge du château
Fond Cyprès,
La Syrah de la Pinède de 2011, la pause est nécessaire, avant de ré-attaquer sur un tartare de veau, encre de seiche, poutargue et chips de vitelotte, puis une seiche, sésame et carottes multicolores, et enfin un lieu jaune, tourteau, riz carnaroli et légumes croquants… et non, ce n'est pas fini. Les fromages… vieux comté, cantal à extrême maturation, jauni par le temps, fromage à pâte persillée… joie. L'on reprend une gorgée de vin pour adoucir le palais, et terminer en douceur avec une glace à l'amande tendrement lovée dans une mousse crémeuse au chocolat, explosion de meringue et caramel. Avec les cafés et la prune, de petites madeleines délicieusement tièdes et épicées viennent clore ce repas déroutant et magique. Nous n'avons pas vu le temps filer, les conversations vont bon train, il est malheureusement temps de rentrer.
En dehors du restaurant, Bones propose une "cave à manger" que j'ai plusieurs fois eu l'occasion de découvrir : un premier apéritif au comptoir, un verre de vin blanc Côte du Jura BB1 Les Chais du Vieux Bourg accompagné de belons, lesquels côtoient des huîtres fraîchement écaillées fines de claires ou roumegous. Un deuxième, calés sur les banquettes en bois, on ne perd pas ses habitudes et nous reprenons un verre de Jura et une assiette de belons, puis une bouteille de Clos des Grillons cuvée Le Pic Gris. La faim se fait sentir et nous passons à l'acte. Regarder avec envie le cochon de lait qui trône sur le bar est une chose, le déguster en est une autre. Le sandwich au cochon de lait se présente sous forme de burger avec une salade de choux et une petite sauce type béarnaise, et est tendre et goûtu à souhait. Nous avons également testé les cailles rôties au yaourt grec, délicieuses, originales et citronnées. Certes, ce n'est pas du plus pratique à manger debout au comptoir, mais la maison ne fait pas dans le "facile", et ces assiettes sont si inattendues à la carte, que j'y retournerai spécialement, pour le tourteau mayonnaise au curry, par exemple. Le tout accompagné de verres de rouge Grenache Corbières. Pour finir sur deux whiskies, l'un tourbé, l'autre japonais… Un troisième apéritif, carpaccio de mulet noir, Cherverny et saucisson Kintoa… et sûrement beaucoup d'autres tant l'adresse me séduit.
Il faut tout de même savoir plusieurs choses avant de pousser la porte de Bones : l'ambiance est chaleureuse et vivante, décontractée, et le brouhaha, de fait, est constant. La salle est divisée en deux parties, le comptoir pour l'apéro, et la salle pour le diner. Ceux qui sont sensibles au bruit et à la musique trop forte, passez votre chemin. On est ici dans un restaurant néo-gastro qui flirte avec l'univers des bars les plus rocks de la capitale. Il est ensuite préférable d'aimer les produits de la mer, qui sont la spécialité de la maison, surtout si vous décidez d'y diner (pour l'apéro le choix est large et chacun y trouvera son compte). Il n'est rien de tel que de partager le plaisir de déguster des huîtres et autre tourteau en bonne compagnie, les amateurs me comprendront. Concernant la carte du restaurant, elle est unique, changeante au gré du marché et des saisons, et le choix n'est pas de mise… il faut donc aimer se laisser guider et surprendre, être curieux et surtout ne pas être difficile. J'ai longtemps hésité à parler de cette adresse que j'affectionne tout particulièrement de crainte de voir tout Paris y affluer, mais la toile et le bouche à oreilles ont déjà sévi, et l'endroit est souvent plein à craquer. Cependant, selon les critères que j'ai énumérés ci-dessus, la sélection de la clientèle se fait finalement naturellement. Vous l'aurez compris, Bones est une adresse pour les adeptes du bon vivre, les amoureux des mets fins et recherchés, les épicuriens détachés de tout préjugés. On vient y chercher une cuisine talentueuse sans prétention, "sobrement sophistiquée" et audacieuse, nous écartant quelques temps des sentiers battus. Car la signature des plats de James Henry pourrait se résumer à ce mot : décalé.
Bones, 43 rue Godefroy-Cavaignac Paris XIe (uniquement le soir)